La souffrance

4 décembre 2001

« On a toujours assez de force pour supporter la souffrance d’autrui »

(La Rochefoucauld)

Quelle attitude peut-on avoir vis-à-vis de la souffrance des autres ? Savons-nous y répondre ? Certes, personne ne peut se mettre à la place d’un autre et prendre en charge sa souffrance. Il y a un là un problème fondamental, au cœur de la métaphysique : la solitude de la souffrance et même la souffrance de la souffrance. Car la souffrance des autres nous renvoie aussi à notre propre souffrance.

La souffrance, comme le mal, réside dans cette solitude radicale, dans cette séparation qui est le contraire même de l’Amour, défini par Saint-Exupéry comme la possibilité non de se regarder l’un l’autre mais de regarder ensemble dans une même direction.

Sœur Emmanuelle nous rappelle que nous ne voulons pas renoncer à nos égoïsmes.

D’ailleurs la société actuelle est elle-même une société d’égoïsme, d’individualité.

Notre civilisation est :

  • techno-marchande. Si elle a satisfait un certain nombre de besoins fondamentaux, elle a également créé de nouveaux besoins artificiels ;
  • Elle a une prétention universaliste. L’homme est devenu un « homo economicus ». La nature humaine est réduite à sa seule valeur économique. Il existe cependant un « commerce équitable » qui propose des produits confectionnés dans des conditions conformes à la dignité humaine.

Elle favorise aussi un repli communautariste identitaire très dangereux. On s’enferme dans le groupe auquel on appartient, ce qui est une négation pure et simple des valeurs universelles de l’humanité comme la solidarité et le partage.

Julien Benda disait en 1927 [2] que « les hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison, et que j’appelle les clercs, ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques » comme l’ordre et la prospérité[3].

L’œuvre de Léon Bourgeois[4] est aussi à méditer et des auteurs comme Paul Léautaud[5], Emile Cioran[6], Léon Bloy[7] nous incitent, au delà du pessimisme, à chercher le fond de choses.

Echanges :

La souffrance a une dimension universelle. Le Mal est partout. Il y a un chaos perpétuel. Selon certains Pères de l’Eglise, la nature souffre. Il faut travailler à la réconciliation entre Dieu, l’univers et l’homme. Notre passivité n’est-elle pas une forme de complicité avec le Mal ?La réconciliation est une idée fondamentale. C’est la bienfaisance.

La bienfaisance est un devoir absolu et une préfiguration d’un univers qui se réfère à la loi d’Amour.

La bienfaisance c’est faire le bien. Il y a là un combat, une guerre spirituelle, car s’il est facile de servir les forces du Mal mais il est plus difficile de s’élever.

Une idée profonde et authentique de la bienfaisance implique nécessairement une souffrance. Mais comment imaginer une authentique bienfaisance ? Elle commence par une identification à l’autre, une recherche de vérité, car ce qui est vrai est adéquat à la nature de l’homme.

Il faut rechercher la réalité profonde des choses et, au milieu des Ténèbres, garder la nostalgie de la lumière.

[1] Dont Richesse de la pauvreté, Flammarion, 2001.[2] La trahison des Clercs, réd. Grasset, 1990.[3] Déjà sous Marc-Aurèle, dans la Rome antique, les dignitaires romains offrent au peuple les spectacles de l'arène, ils font étalage de leur puissance et de leur richesse. Ils s'assurent ainsi une certaine paix sociale, en maintenant la plèbe hors du jeu politique. Ce que Juvénal résume alors d'une formule: "Du pain et des jeux.", à l'image des sportifs de haut niveau de notre XXème siècle.[4] 1851-1925, prix Nobel de la paix en 1920.[5] 1872-1956, dont In memoriam, 1956.[6] 1911-1995.[7] 1846-1917.