Pauvreté et solitude

7 décembre 1999

Ces deux états sont au fondement de la spiritualité chrétienne. En effet, tous les chrétiens sont invités à rechercher la pauvreté et la solitude, à pratiquer l’ascèse. Mais, dans le même temps, ils sont aussi incités à lutter contre elles. Il y a là deux attitudes qui paraissent contradictoires. Que recouvrent donc ces notions de pauvreté et de solitude ?

D’une part, la pauvreté et la solitude peuvent être un choix volontaire, un dépouillement qui permet de se tourner vers Dieu et ses frères humains. Cette pauvreté matérielle nous dégage des pesanteurs du monde et c’est une richesse dans la mesure où elle est le premier pas sur le chemin de la Libération ou richesse absolue.

Mais, d’autre part, la pauvreté et la solitude peuvent être des malheurs subis qui accablent, et parfois jusqu’à l’anéantissement, ceux qui en sont frappés, et qui se sentent alors totalement rejetés et abandonnés.

Si l’on se place dans la perspective de l’économie du Salut dans la tradition chrétienne, il est certain que l’idéal de la vie monastique consiste en un retrait du monde, en une pauvreté et une solitude voulues et désirées. C’est la voie royale pour parvenir, avec la grâce divine, au Salut.

Cependant, il existe une autre voie, à côté de ce chemin difficile, pour marcher vers le Salut comme l’enseigne aussi cette même tradition. C’est la voie que peut suivre la majorité des chrétiens, celle des hommes de bonne volonté qui restent dans le siècle, voie qui semble plus facile bien qu’elle soit semée d’embûches puisqu’il s’agit de combattre la pauvreté et la solitude alors même qu’on les recherche tout en restant dans le monde !

Au Moyen Âge, le monastère a pu être considéré comme une sorte d’utopie (ce qui est nulle part, donc ce qui n’est pas du monde) où l’on pouvait vivre et suivre la première voie, celle du dépouillement.

Comparativement, la Maçonnerie de tradition pourrait être considérée, elle, comme une sorte d’« hétérotopie » (ce qui est à côté), un moyen de vivre et d’espérer en ce monde. Car, tous ne peuvent suivre cette injonction absolue du Christ « Viens et suis-moi »[1], et le Maçon, loin d’être un « initié », comme l’on dit dans certains milieux, est plutôt un infirme spirituel qui a besoin d’apprendre et d’emprunter une voie médiane, apparemment moins exigeante et plus adaptée à sa faiblesse.

Mais puisque le monde dans lequel nous vivons est si éloigné de l’ordre idéal, pourquoi faut-il chercher à l’améliorer ? Autrement dit, quelle est la véritable signification de la bienfaisance ?

La bienfaisance a une fonction de témoignage. Elle nous rappelle que le monde qui nous environne est un monde de luttes et d’agressions perpétuelles, un monde sous l’emprise du Mal. Et si nous savons que par nos seules forces nous ne changerons pas le monde (pour qu’il retrouve sa vraie nature), nous pouvons cependant, et plus simplement, témoigner d’un autre Monde. Car s’il est vrai que, dans la tradition chrétienne, le monde matériel est condamné à plus ou moins longue échéance, il n’en est pas moins vrai que l’on s’y intéresse, ainsi qu’à son salut, celui-ci étant universel. Dans cette optique, il y a un mouvement irrépressible de compassion envers les souffrances de nos semblables, devant lesquelles nous ne pouvons rester insensibles, et que nous devons essayer de soulager.

On pourrait, sommairement, déterminer deux types d’attitudes spirituelles vis-à-vis du monde.

L’une consisterait à l’accepter tel qu’il est dans une sorte de fatalité.

L’autre, au contraire, refuse cet ordre du monde, parce que l’horreur répugne instinctivement à l’âme humaine. L’amélioration du monde hic et nunc n’est donc pas indifférente à l’homme. Nous sommes tous dans l’Un, à l’image et à la ressemblance de la divinité (nous participons tous à la même souffrance), et c’est probablement une caractéristique de la spiritualité occidentale que d’oeuvrer pour le changement du monde.

Cette problématique s’exprime à travers la question relative au Salut par la foi ou par les oeuvres ainsi qu’on peut le lire dans l’épître de Saint-Jacques (2, 14-26)[2].

[1] Cf. Mat. 8, 18-22 ; 10, 37-39 ; 16, 24-28 et 19, 16-30, etc.

[2] Extraits : « si [la foi] n’a pas les oeuvres, elle est tout à fait morte », « c’est par les oeuvres que je te montrerai ma foi », « la foi coopérait [aux] oeuvres [d’Abraham] et par les oeuvres sa foi fut rendue parfaite », « c’est par les oeuvres que l’homme est justifié et non par la foi seule », « la foi sans les oeuvres est (...) morte ». Traduction, Bible de Jérusalem.