De la bienfaisance

1er décembre 1998

Pour une définition de la bienfaisance

Il y a d’abord la bienfaisance matérielle, indispensable mais qui a ses limites. Il y ensuite la bienfaisance morale qui peut se manifester dans toutes les occasions de la vie (partage de la connaissance par exemple). Il y a enfin la bienfaisance spirituelle qui est déjà, sur terre, une préfiguration de la vie céleste.

Origine et vocation de la Loge

Créée il y a 14 ans, le 27 décembre 1984, notre loge s’est d’abord réunie au rythme de plusieurs tenues dans l’année afin de rassembler des fonds, organiser la répartition des dons et préparer des campagnes d’actions. Peu à peu a germé une autre idée. Comme l’action de l’Hospitalier national s’exerce en réalité en dehors de tenues proprement dites, il fallait donner à cette loge une autre dimension. Cette autre dimension, à vocation « célestielle », se manifeste matériellement, une fois l’an, à l’occasion du banquet d’Ordre Rectifié de la Saint-Jean-d’Hiver. Cette dimension « célestielle » induit que tous les frères de la L.N.F. appartiennent spirituellement à la Loge. Ceci souligne une caractéristique majeure de l’action maçonnique : la bienfaisance.

La bienfaisance dans la tradition maçonnique française et anglo-saxonne

Au XVIIIe siècle, il y avait peu de différences entre ces deux maçonneries. La situation sociale était telle (pas de protection sociale, d’assurances, etc.) que la fonction d’entraide était très développée, comme dans toutes les confréries. Toutefois, dès cette époque, la maçonnerie française, d’un recrutement plus aristocratique que la maçonnerie anglaise, remplace cette notion d’entraide par celle d’aumône, de bienfaisance (ce mot apparaît dans le Dictionnaire de l’Académie en 1762.).

Au XIXe siècle, la maçonnerie française prend un tour plus politique. Elle veut réformer la société et remplace la notion de bienfaisance par celle d’action sociale. Ce ne fut pas le cas dans la maçonnerie anglo-saxonne. Aujourd’hui, aux Etats-Unis d’Amérique, la maçonnerie, dans l’esprit du public, est associée à la notion de « charity ». Elle est surtout considérée comme une organisation caritative. Les frères Américains rassemblent des sommes considérables pour financer des hôpitaux, des projets de recherches, des centres de santé, des colonies de vacances, etc. En France, le public n’a pas la même vision des choses. D’ailleurs, le franc-maçon de la IIIe république n’avait pas ce souci. D’une grande rigueur morale, ce frère, souvent élu municipal, départemental ou national, agissait concrètement pour l’amélioration de la vie de ses concitoyens. On serait surpris, aujourd’hui, du nombre de francs-maçons honorés sur les plaques des rues de nos villes en témoignage de leur action sociale. Mais aujourd’hui, il semble que cette action sociale montre des limites et que l’Etat ne peut pourvoir à tout, aussi on peut se demander si la notion de bienfaisance ne serait pas de retour.

La bienfaisance dans le Régime Ecossais Rectifié

Héritier de la tradition maçonnique française du XVIIIe siècle, le R.E.R. exprime explicitement, jusqu'à la codifier, sa volonté de bienfaisance de manière ostensible. La bienfaisance s’exprime d’abord matériellement. Cette action est nécessaire, indispensable et obligatoire. Et comme tout régime hiérarchisé, le R.E.R. ne s’arrête pas à cet aspect des choses. La bienfaisance matérielle est le signe, la marque d’une autre forme de bienfaisance. Mais cela n’aurait aucun sens que de dire que le RER est un rite plus bienfaisant qu’un autre car la bienfaisance est comme l’amour : celui-ci ne finit pas et ne se définit pas.

De la bienfaisance en général

Aujourd’hui, le problème de la bienfaisance se pose quotidiennement à nous. Comme dans les temps anciens, il ne se passe pas une heure sans que l’on ait à rencontrer des pauvres, des mendiants, des exclus qui tendent la main et à qui on ne peut pas toujours donner. Il y a dans ce refus obligatoire, une dimension complexe et douloureuse de la relation humaine. Cela montre que la bienfaisance matérielle est forcément limitée et qu’il y a même une sorte d’impossibilité à la réaliser complètement. A travers cette relation humaine difficile, nous prenons conscience que la bienfaisance est aussi une discipline de vie, prise de conscience de cette distance entre le réel et l’idéel, entre ce qui est et ce qui est à atteindre, c’est-à-dire tout l’intérêt de la démarche maçonnique.

Mais cette impossibilité est aussi l’occasion de soulever un autre problème. Quel rapport l’amour fraternel entretient-il avec la bienfaisance ? Autrement dit, comment la franc-maçonnerie, société fermée, peut-elle exercer la bienfaisance qui, par définition est ouverte à tous ? Il y a là une sorte de contradiction qui nous ramène au problème précédent. La franc-maçonnerie pratique la bienfaisance bien sûr mais cette bienfaisance, aussi généreuse soit-elle, n’est, de toutes façons, qu’un goutte d’eau dans l’océan de la misère universelle. Et justement, dans ce monde, la véritable universalité n’est pas possible. La maçonnerie, société à vocation universelle, ne peut que figurer la société idéale comme le faisait, au Moyen-âge, le monastère. Gilles Lapouge rappelle justement que le monastère était une sorte d’utopie réalisée (cf. Utopie et civilisation, Albin-Michel, 1991). Dans le même ordre d’idée, la loge, la maçonnerie, se veut être une sorte de micro-société idéale.

Cette insuffisance, cette impossibilité indique encore une autre dimension de la bienfaisance. C’est la dimension spirituelle, de réparation, de réconciliation, envers nous mêmes, envers les autres et envers Dieu. Celui qui donne et celui qui reçoit doit être finalement une seule et même personne. A travers chaque pauvre, c’est le Christ qui est présent.

Le R.E.R. nous montre le but : la réconciliation. Elle nous indique aussi le moyen, la voie : la maçonnerie.