Le banquet
2 décembre 1997
Le Régime Ecossais Rectifié a pour caractéristique de souligner fortement, en les marquant de son empreinte, certains aspects de la Maçonnerie. Cette empreinte consiste essentiellement en une doctrine, celle de la réconciliation et de la réintégration, composante majeure de la tradition occidentale en général et de la tradition chrétienne en particulier. Cette doctrine est sous-jacente à la Maçonnerie universelle mais le R.E.R. lui donne toute sa dimension. C'est dire qu'un thème comme celui du banquet, consubstantiel à la Maçonnerie, développe dans le R.E.R. un sens profond, que l'on peut résumer lapidairement de la façon suivante : du banquet à la Cène.
1) Le banquet dans la Maçonnerie et la tradition occidentale
Dès les origines de la Maçonnerie, le banquet tient une place importante. En France, dans les années 1730-1740, les premières descentes de police contre les loges interrompent souvent des banquets. Les loges se réunissent la plupart du temps chez un traiteur. Le banquet apparaît comme fondateur d’un trait intéressant de la Maçonnerie : la convivialité. Mais ceci, bien sûr, n’est pas spécifique à la Maçonnerie et il ne serait pas difficile de trouver le même caractère dans les nombreuses confréries qui existaient sous l’Ancien régime. Le banquet s’inscrit dans la tradition multi-séculaire de la chrétienté occidentale où il tient une place majeure, fondatrice et archétypale, symbolisée par la Cène.
Les banquets maçonniques ont traditionnellement lieu aux Saint-Jean d’hiver et d’été. En effet, Saint-Jean Baptiste et Saint-Jean l’Evangéliste ont toujours été les patrons de la Maçonnerie et ceci est attesté en Angleterre et en Ecosse dès le XVIIe siècle.
2) Le banquet dans le Régime Ecossais Rectifié
En 1778, au convent des Gaules à Lyon, le R.E.R. a fixé le nombre des fêtes du régime : aux fêtes de Saint-Jean, il a ajouté la fête du renouvellement de l’Ordre, le 6 novembre. Cette fête témoigne d’un renouvellement de la Maçonnerie qui consiste 1°) en la renonciation à la filiation templière (cet acte fondamental de la réforme de Lyon sera confirmé lors du convent général de Wilhelmsbad en 1782) et 2°) dans la transformation de la Stricte Observance Templière (S.O.T.), ordre des Chevaliers Templiers, en ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte (C.B.C.S.).
Les caractéristiques majeures du banquet dans le R.E.R. sont les suivantes :
Le banquet doit être « frugal et fraternel ». Cette frugalité est une réaction à certaines tendances trop festives de la Maçonnerie, au XVIIIe siècle comme aujourd'hui, qui sont une dérive permanente et néfaste à ces cérémonies. Il s'agit, si possible, d’enrichir la notion d'agapes, du grec « agapê », pour s'ouvrir à une dimension spirituelle chrétienne. Le repas traditionnel chrétien, encadré par des prières, est une manière de « se tenir à table » et c'est dans cette perspective qu'il faut comprendre « l'égalité » qui règne entre frères dans nos banquets puisque nous sommes invités « dans une société de frères à goûter les charmes de l'égalité ». Il s'agit, non pas d’un appel à balayer toutes les distinctions sociales dont le R.E.R. préconise le respect, mais d'une égalité principielle, celles des enfants de Dieu dans la tradition chrétienne et qui sera effective dans le banquet célestiel.
La frugalité est aussi un rappel direct à une pratique de type monastique. A d’autres échelons du Régime, les frères se réunissent dans un « réfectoire », comme au monastère. La règle du silence préconisée dans le rituel de banquet l'indique encore. Seul le Vénérable Maître peut en dispenser momentanément les frères. Cette règle nous rappelle que le banquet rectifié doit se dérouler dans la simplicité et, au delà de l’entretien nécessaire du corps matériel, c’est surtout « l’amélioration » du corps spirituel qui est visée.
3 ) Le banquet spirituel : du banquet à la Cène
Qu'entend-on par « banquet spirituel » ? Dans une société traditionnelle, la simple notion de repas a une dimension sacrée. Le christianisme établit un parallèle entre les nourritures terrestres et les nourritures spirituelles. Les nourritures terrestres représentent ou évoquent d'autres nourritures, celles de l'esprit. L'exemple des noces de Cana montre qu'à travers l'éloge implicite du vin et de l'ivresse, c'est une autre ivresse, l'ivresse spirituelle, qui est recherchée. Ce balancement, permanent dans le christianisme, entre le corps matériel et le corps spirituel signifie que le corps matériel doit être dépassé pour nous inciter, en permanence, à une avidité spirituelle. En ce sens, le banquet est un véritable exercice spirituel.
Le banquet est aussi une prise de nourriture en commun. Transposée dans le domaine spirituel, cette notion signifie que l'accès à l'esprit se fait en communauté, par la communion des esprits et des cœurs dont une des expressions est l'amour fraternel. Il y a, ici, un rappel fort de la notion de communauté des Saints, de ceux qui, ensemble, sont tournés vers l'esprit, dont le banquet peut être le symbole.
La frugalité indique enfin une notion qui peut paraître paradoxale, quoique fondamentale, dans un banquet, celle de jeûne spirituel. La frugalité est une retenue volontaire, une restriction que l'on s'impose librement. Elle doit être pratiquée sans excès (tout excès conduit, en réalité, à l'inverse du but recherché) car le jeûne n'est pas synonyme d'austérité et de tristesse mais implique, au contraire le partage, la charité, l'amour. De fait, les nourritures spirituelles, comme la lumière des cieux est déjà virtuellement en nous. Certes, nous avons soif, mais tout nous a déjà été donné en surabondance.